Projets d’artistes / Projets de musées

Sous la direction de Raphaël Gomérieux, Véronique Goudinoux et Natacha Yahi

Programme du CEAC associé aux séminaires « Art, exposition, mondialisation » et « Séminaire-Atelier » du Master Arts – Faculté des Humanités.

Présentation générale du programme

Aujourd’hui, des musées d’histoire, de société, ou des musées dits parfois de « civilisation » ou de « cultures du monde » invitent des artistes contemporains à réaliser dans leurs murs des projets, des expositions ou des interventions à partir de leurs fonds. Parallèlement, des musées d’art moderne et contemporain exposent des œuvres, des objets ou des images qui invitent à ré-interroger la composition de leurs collections. 

Comment comprendre ces manières spécifiques de travailler en décalage avec ce qui peut paraître constituer les fonctions premières de ces musées (collecter, conserver, effectuer des recherches, interpréter, exposer) ? Quelles formes prennent ces projets et que déplacent-ils exactement, d’une part pour les artistes qui les réalisent, d’autre part pour les acteur.es des musées qui les accompagnent ? Quels en ont été les étapes ou les difficultés ? Quels débats ont-ils suscités ? De quels enjeux sont-ils porteurs ? 

Dans le cadre de ce programme a déjà été effectuée l’étude de projets réalisés dans le cadre de résidences ou d’expositions dans des musées tels que le MUCEM (Marseille), l’AfricaMuseum (Tervuren – Belgique), le Musée du Quai Branly (Paris), le Musée national de l’Histoire de l’immigration (Paris), le Musée National d’Art Moderne, etc. D’autres études sont en cours.  

 

Une recherche collaborative

Ce programme a pour particularité d’être réalisé avec les différents acteur.es de ces musées engagé·es dans ces projets (conservateur·es, curateur·es, scientifiques, médiateur·es, etc.). Il met ainsi en oeuvre un paradigme de recherche finalement assez peu courant, celui d’une recherche collaborative qui associe aussi bien des artistes, des acteur·es de ces musées que des chercheur·es, des doctorant·es ou des étudiant·es de master. Cette recherche collaborative prend plusieurs formes : celle d’un comité scientifique « mixte » composé des différents acteur·es cité·es à l’instant (en cours de constitution) ; celle d’ateliers de recherche publics conçus selon des modalités particulières (voir ci-dessous) ; celle de la restitution elle aussi collaborative des résultats de la recherche (production d’entretiens, filmés ou non, de carnets de recherche spécifiques documentant les projets étudiés, etc.).

De même que les acteur.es intervenant·es dans les musées appartiennent elles et eux-mêmes à des sphères et disciplines différentes, les chercheur·es hors musées sont issu·es de champs variées (arts plastiques, histoire de l’art, muséologie, anthropologie, études culturelles, sociologie, etc.). 

 

Des ateliers de recherche

C’est par la constitution d’ateliers de recherche ouverts aux publics que ce programme a débuté (voir les quatre journées organisées en 2022, 2023, 2024 et 2025). Il a été proposé à certain·es acteur·es des musées sollicités (conservateur·es, chargé·es des résidences, etc.) d’inviter pour une séance de travail commune celles et ceux (artistes ou non) qui ont conçu avec eux un projet ou une exposition à partir de leurs collections ou fonds. Cette façon de déléguer les invitations suscite des décalages intéressants. Pour un·e chercheur·e en sciences humaines et sociales, opter pour ne pas avoir la totale maîtrise du choix de ses invité·es est assez peu courant. L’objectif de ce principe de travail est de favoriser l’émergence de descriptions, d’observations, de commentaires, d’analyses ou de récits différents, parfois divergents, portant sur un même projet, sur ses enjeux et sur les effets qu’il a pu produire. Il s’agit par là d’éviter toute reconstruction univoque du processus généralement multipolaire qui a mené à la réalisation du projet en question ; en bref, de lui conserver le plus possible sa complexité. 

Plus précisément, le temps de ces ateliers est consacré à travailler selon un mode qu’on pourrait dire de « l’échange descriptif » portant sur un projet précis (oeuvre, exposition, etc.), projet auquel nos invité·es et les invité·es de nos invité·es ont contribué à partir de « positions » différentes, parfois conflictuelles. D’un point de vue théorique, mais sans toutefois adhérer à l’ensemble de leurs présupposés, la méthode de recherche proposée ici n’est pas sans relation avec les courants de pensée qui ont été regroupés sous les dénominations « épistémologie des points de vue » ou Standpoint theory. Il en emprunte particulièrement une distance critique envers les méthodes analytiques qui se présentent comme fondée sur une neutralité scientifique et privilégie le choix de laisser entendre, tant dans le moment même de l’atelier de recherche que dans la restitution qui le suit (un article par exemple, qui peut être rédigé à plusieurs mains), les différentes positions et les différentes voix des acteur·es engagé·es dans tel ou tel projet. 

 

Premiers résultats

Les premiers résultats de ces recherches montrent que ces projets et les espaces muséaux qui les accueillent peuvent constituer des champs de force et de tensions qu’il convient de ne pas réduire par une interprétation qui en lisserait les aspérités. Elles montrent aussi, et ceci n’entre pas en contradiction avec ce qui précède, qu’un projet de ce type effectué lors d’une résidence peut participer à reformuler une part des missions du musée, par exemple en considérant ce dernier comme un espace possible de co-créations ou de de coopérations, ou bien encore comme une des formes singulières de ce que pourrait être une sphère publique contemporaine en laissant y advenir des débats parfois difficiles. Les études en cours devraient prolonger, ouvrir, réorienter ces premiers résultats.  

 

Le musée / la recherche : des formes singulières de « sphère publique » ?

 Ces ateliers à plusieurs voix ainsi que l’ensemble du programme soulèvent des enjeux relatifs à des questions contemporaines de société (mouvements migratoires, demande de restitution d'objets muséaux, etc.) qui sont étudiées et débattues avec et par différents acteur·es (artistes, conservateur·es, universitaires, étudiant·es) sous des perspectives différentes, l’objectif étant de favoriser la transformation de l'espace universitaire en l'une de ses possibles (mais pas toujours mise en place) occurrences, une sphère publique permettant de manière soutenue des échanges et des débats sur des problèmes sociétaux non résolus, dont ceux des fonctions des musées ou de l’université aujourd’hui. 

 

Axes de réflexion : 

Réflexion sur les modalités d’une recherche collaborative

- Comment inventer concrètement des formes convaincantes de recherche à plusieurs voix ?

- Qui peut y participer, dans quels espaces institutionnels (musées, université), sous quelles modalités ?

- Quelles formes donner aux restitutions de ce type de recherche ? 

- Comment éviter de travailler dans des cadres épistémologiques ou à partir de paradigmes susceptibles de fausser la description des projets étudiés ? 


Reconfiguration des fonctions et des missions des musées :

- Comment les projets artistiques contemporains transforment-ils les rôles des musées d’histoire, de société, ou de civilisation ?

- Ces interventions participent-elles à une redéfinition des objectifs éducatifs, mémoriels ou critiques des musées ?

- En quoi ces collaborations participent-elles à modifier ses fonctions de médiation culturelle, à se positionner comme espaces critiques ou participatifs ? 

 

Renouvellement des pratiques artistiques et du rôle de l’artiste

  • Quelles formes prennent ces projets artistiques (installations, performances, expositions hybrides) au sein de musées à vocation historique ou anthropologique ?
  • Comment ces projets singuliers influencent-ils ou informent-ils la production artistique contemporaine ?
  • En quoi les interactions avec un cadre muséal chargé symboliquement et historiquement modifie-t-il les processus créatifs des artistes ?
  • Peut-on considérer ces projets comme des formes de collaborations ? 
  • Si oui, ces collaborations réorientent-elles les rapports entre art et mémoire, art et société, ou encore art et recherche scientifique ?

 

Enjeux, tensions et débats :

  • À quels déplacements institutionnels ou curatoriaux ces collaborations conduisent-elles ?
  • Quels enjeux idéologiques, politiques ou sociaux guident, limitent ou biaisent ces initiatives ?
  • Quelles tensions surgissent entre la mission de conservation ou de recherche du musée et la création contemporaine, parfois éphémère ou critique ?
  • Quels débats éthiques ou conceptuels ces collaborations suscitent-elles, notamment dans les contextes postcoloniaux, de restitution ou de décolonisation des récits muséaux ?