Arts, sciences et expérimentations
Sous la direction de Valérie Boudier, Nathalie Delbard et Véronique Goudinoux
Cette thématique vise à rassembler et fédérer les projets des membres du CEAC qui travaillent en collaboration avec des laboratoires de sciences expérimentales des universités de sciences humaines (par exemple les laboratoires travaillant sur les sciences cognitives) et des laboratoires des universités de sciences et technologies dans des domaines tels que la neurobiologie, l’informatique, l’imagerie cellulaire, les neurosciences ou la physique.
Sous plusieurs aspects, en effet, des projets ont été soutenus par le CEAC ces dernières années et menés par des enseignants-chercheurs en art qui donnent à voir que le dialogue entre des domaines aussi différents que la biologie, l'oculométrie, l'olfaction et les arts plastiques et visuels contemporains est productif aussi bien pour les chercheurs en art que pour les chercheurs en sciences dites « dures » ou expérimentales. Les différents programmes collaboratifs ont montré par exemple, dans le domaine de l'oculométrie, que certaines hypothèses théoriques quant au trajet du regard sur les œuvres d'art ne sont pas vérifiées par les expériences, tandis que, du point de vue de la biologie, des chercheurs des sciences dites « dures » ont repris des interrogations inattendues émanant d'artistes sur leurs protocoles ou programmes de recherche, les amenant à déplacer leur manière de poser certains problèmes.
Ce sont donc ces dialogues produisant des déplacements féconds que cette nouvelle thématique se propose de favoriser en accompagnant les projets se structurant autour de rencontres entre des chercheurs appartenant à des disciplines et des mondes scientifiques ne travaillant pas usuellement ensemble. Certains projets ont déjà été mis en œuvre, dont les suivants :
Exemple 1. Recherches à partir des techniques de l’oculométrie
Suite au programme “Oculométrie et perception des images : nouveaux enjeux esthétiques” coordonné par Nathalie Delbard et Dork Zabunyan en 2014-2015 au sein de l’Imaginarium de Tourcoing, et qui fera prochainement l’objet d’une publication aux Presses du Réel (L’œil mouvementé, automne 2017), il s’agit de poursuivre la collaboration avec Laurent Sparrow, chercheur en Psychologie cognitive et spécialiste de la vision (Université de Lille, SCAlab), en mobilisant les techniques de l’eye-tracking pour à la fois renouveler les méthodes d’analyse d’œuvres et examiner sous un jour nouveau certaines théories de la perception. Plusieurs projets sont en cours : une collaboration avec le CNRS et Mathias Blanc, chercheur en Sociologie (SCV), autour de l’exposition au Louvre-Lens « Le mystère Le Nain », qui permet de mesurer l’écart perceptif entre une peinture vue au musée et sa reproduction sur écran (projet en cours, 2017) ; une série d’expérimentations oculométriques dans le cadre du Labex « Politiques de la distraction » porté par l’Université Paris 8 (Dork Zabunyan), et l’ENSAD (Paul Sztulman), qui vise à étudier plus spécifiquement les phénomènes relevant d’une apparente inattention ou d’une forme de dispersion à l’œuvre dans l’exploration visuelle, afin de repenser la notion de « distraction » telle qu’elle a été notamment théorisée par S. Kracauer et W. Benjamin ; enfin, en collaboration avec Ludovic Macaire, responsable de l’équipe Imagerie Couleur du Laboratoire CRIStAL (Université de Lille – Sciences et Technologies), dont les recherches portent notamment sur le développement de « méthodes automatiques de traitement des images multi-spectrales », le recours à l’oculométrie devant des toiles abstraites permettra d’étudier les modalités de perception et de restitution de la couleur et de ses textures (appel à projet CPER MAuVE).
Exemple 2. Sens mineurs : la dimension olfactive
Créé à la rentrée 2012 par Valérie Boudier et par Gilles Froger (professeur d'enseignement artistique et critique d’art, ESA), le séminaire de Master mutualisé Sens mineurs – Le goût, le toucher, l’odorat interroge dans le champ des arts plastiques et visuels les sens longtemps considérés comme mineurs que sont le goût, le toucher et l’odorat. L’étude de leurs représentations dans les œuvres essentiellement picturales de l’époque moderne permet de mettre en perspective leur mise en jeu dans les œuvres contemporaines.
L’actuelle phase du programme (2016-2018) concerne la dimension olfactive, sa présence et/ou sa représentation dans les œuvres d’art. Après avoir accueilli cette année l'artiste Julie Fortier (workshop et restitution performative de travaux d'étudiants dans la Galerie Commune), ce programme se poursuit avec la collaboration d’une chercheuse de l'Université de Lille – Sciences et Technologies, Patricia Nagnan-Le Meillour (directrice de recherche, INRA), qui ouvrira à partir de septembre 2017 aux étudiants et enseignants son laboratoire de Glycobiologie Structurale et Fonctionnelle (UMR 8576 CNRS/Université de Lille 1/USC INRA 1409), ce qui permettra de considérer l'olfaction sous la perspective de la communication chimique et d'en dépasser l'interprétation courante en prenant en compte la dimension première de la circulation de l'information entre les êtres vivants. Ce sont entre autres ces questions posées par les recherches s'intéressant ainsi aux messages chimiques échangés dans le règne animal qui seront déplacées et confrontées aux propositions des artistes d'aujourd'hui, dont les travaux suggèrent quant à eux des interprétations singulières de l'olfactif. D'autres chercheurs, dont le compositeur et musicologue Francis Courtot, interviendront également au cours du séminaire. Enfin, à côté d'une exposition des travaux d'étudiants suscités par ce programme, une journée d'étude accueillant des artistes et des chercheurs autour de la question de la mise en jeu des odeurs corporelles dans l'art contemporain sera organisée le jeudi 12 avril dans l'amphithéâtre du Pôle Arts Plastiques de Tourcoing et donnera lieu à une publication.
Exemple 3
A côté des projets décrits ci-dessus mis en œuvre directement par des membres du CEAC, les étudiants de master des parcours Arts Plastiques ainsi que les enseignants sont invités à participer au programme de recherche Images, sciences et technologies de l’École Supérieure d’art du Nord/Pas-de-Calais mené sous la direction de Nathalie Stefanov, avec Silvain Vanot, Leïla Pereira et Stéphane Cabée, tous professeurs à l’Esä .
Ce programme, mené en 2016-2017 en partenariat avec le Centre d’art Espace Croisé (Roubaix) et le laboratoire de microscopie photonique TisBIO (CNRS, Université de Lille – Sciences et technologies), s’attache à développer des conversations entre l’art et la science, en construisant des échanges et des rencontres entre les étudiants et les chercheurs. Il fait suite aux recherches menées depuis 2015 donnant naissance à l'exposition et au catalogue Master Mind puis aux expositions et catalogue Cells Fiction (2017), manifestations auxquels ont participé des étudiants du Master ARTS. La rencontre directe avec les chercheurs, les protocoles et les instruments des laboratoires scientifiques partenaires permet aux étudiants d'interroger autrement les modalités de leur propre création, induisant ainsi une autre manière de réfléchir à ce que peut être une recherche en art lorsqu'elle se développe dans le contexte des sciences et technologies.
En 2017/2018, le Paul Scherrer Institut (Suisse) sera partenaire du programme de recherche et des collaborations seront menées notamment avec Philipp Schmidt Wellenberg, chercheur en physique des particules, et Hans Peter Beck, professeur de physique (CERN/ Université de Berne). Des rencontres avec des scientifiques ou historiens des sciences – par exemple avec Charlotte Bigg, historienne des sciences (CNRS, membre du conseil de laboratoire du Centre Alexandre Koyré) – , seront ouvertes aux étudiants de l’Esä et aux étudiants du département Arts de l’Université de Lille – SHS. Un séjour en Suisse est organisé en novembre lors duquel les étudiants auront l’occasion d'observer certains instruments de la recherche et de voir comment fonctionne un accélérateur de particules (LHC). Enfin, un module Art & Science se tiendra en janvier à Polytech (École polytechnique universitaire, Université de Lille – Sciences et technologies), qui engagera les étudiants en art à produire leurs travaux plastiques en dialogue avec des étudiants ingénieurs.
Cette thématique, sans préjuger aucunement des hypothèses et résultats de chacune de ses manifestations, vise donc à permettre que se développent différentes et fructueuses collaborations avec des partenaires des sciences dites « dures », en particulier à travers des pratiques singulières et de nature variée partagées avec des laboratoires de recherche. A travers ces collaborations, ce sont en particulier les questions du regard, de l'image, du rapport entre la vue et les autres sens, de la complexité de l’expérience esthétique mais aussi des modalités de la production artistique lorsqu’elle se confronte à des pratiques scientifiques, qui seront posées à nouveaux frais.